dimanche 24 juillet 2011

Weber et la dette américaine


Il reste moins de deux semaines au gouvernement américain pour arriver à une entente. Ce qui est dommage c’est qu’il n’y aura pas d’entente cordiale, rien de révolutionnaire. Un moment comme la présente situation démontre bien l’impuissance du plus puissant des présidents dans son propre système politique, surtout après une défaite au mi-mandat. Bien qu’Obama voyait grand, une réduction astronomique de la dette contrebalancé par une hausse des taxes, un plan sur vingt ans, dans le but d’enrayer le fléau de la dette dans lequel les américains se sont enlisés depuis la deuxième moitié du XXe siècle; rien de tout cela ne peut arriver sans l’accord complet de ceux qui dirigent le congrès, les républicains. Des républicains qui auraient, en tant normal, été capable de s’entendre sur ce genre d’accord avec les démocrates, dans le but de tuer la crise et d’avoir de quoi se vanter lors des présidentielles de 2012.

Et pourtant. Le phénomène Tea Party n’était guère éphémère, comme on l’avait à peu près tous prédit. Cette droite braquée est en train de déchirer le GOP comme rarement l’a-t-on vu dans son histoire. Et c’est cette même droite braquée qui ne démord pas, aucune hausse des taxes ne doit être faites, sinon c’est dans l’abysse financier que nous plongerons tous. Avec de tels interlocuteurs qui font les sourds d’oreille, les démocrates ont frappé un mur et n’auront pas l’opportunité de remédier à ce problème criant qu’est la dette américaine.

En 1919, Max Weber donna des conférences sur les métiers de savant et de politique. Ces conférences sont désormais le cœur d’un ouvrage phare en science politique, soit Le Savant et le Politique de Max Weber. Avec une précision quasi chirurgicale, Weber parvient à cerner plusieurs aspects clés de l’éthique dans ces deux disciplines. Dans un des segments, il énonce clairement l’opposition entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Lire le mince paragraphe que Weber écrivit en 1919 nous permet de mettre cette crise politique sous un angle différent, et de comprendre les oppositions viscérales qui séparent  les deux parties en présence. Si certains ce demande encore pourquoi Max Weber est un grand de ce monde, et bien c’est pour ça. Ses observations ne sont jamais trop vielles, ne sont jamais de l’ère du temps, elle traverse l’espace et le temps et décortique le politique comme peu ont été capables.

Une course contre la montre vient de débuter entre les deux parties pour parvenir à une entente avant l’ouverture des marchés lundi matin. Si au moins Weber pouvait se trouver à la table de négociation…

Les mots d'un autre

Je sais qu'elle m'a aimé mais qu'elle ne m'aimera jamais plus. Je n'en souffre pas. J'accepte son absence comme quelque chose d'irrémédiable. Je n'attends rien, je ne souhaite que de me retrouver seul sans son image floue. Je trouve cela long, si long qu'il m'arrive d'en désespérer. Alors, parfois, pour me rassurer et parce que je refuse de me battre inutilement contre ce qui me dépasse, je songe à ces buffles dans ces plaines africaines qui, lorsque l'orage s'abat sur la savane, se maintiennent solidement sur leurs quatre pattes, baissent la tête et attendent, immobiles, que cesse la pluie.

-David Thomas

La Patience des buffles sous la pluie
David Thomas
Le livre de poche
Préface de Jean-Paul Dubois
151 pages
11,95$

mercredi 13 juillet 2011

Un personnage fort sympathétique


Assis à une table près du port de Sydney, Maxwell Sim regarde des chinoises jouer aux cartes, une mère et sa fille. Il les envie. Il envie leur intimité, leur amour, leur joie, leur sérénité et leur plaisir. Il aimerait tellement les aborder, faire partie de ce moment. Quand il aura pris la décision de le faire, de s’y lancer, ce sera trop tard, il aura rater le bateau, encore une fois. Car c’est l’histoire de sa vie. Maxwell Sim est pathétique, dépressif, seul, trop vieux pour être jeune et trop jeune pour être vieux, divorcé, père manquant, un homme sans envergure, sans rêve, qui n’espère que le bonheur, qui semble si loin. À porter de tous, sauf pour lui.

La vie très privée de Mr Sim nous plonge dans cette existence médiocre qu’est la sienne, le tout, avec un pointe d’humour anglais à se torde de rire. De Sydney à en Angleterre, des pubs londoniens aux Shetlands en Écosse, Jonathan Coe met en scène une quête existentielle sans précédent pour son personnage, qui tentera de se retrouver dans cette cruelle modernité qu’est le XXIe siècle.



Dépressif et sans emploi, Mr Sim dénichera un petit contrat de vendeur de brosse à dent à son retour de Sydney. N’ayant rien d’autre à l’agenda l’homme solitaire entamera son périple sans trop d’ambition, mais plusieurs bifurcations et imprévus l’amèneront à remettre sa minable existence en perspective. Plus l’histoire avance, plus Maxwell Sim se vide le coeur dans l’oreille d’Emma, sa confidente. Elle est une nouvelle connaissance, une collègue de travail durant le contrat des brosses à dents. Jamais elle ne pose de question, jamais elle juge, Emma ne fait qu’écouter Maxwell, ce qui lui fait le plus grand bien. Quelque fois Emma s’échappe et glisse un “Dans 500 mètres, tournez à droite.” Et oui, notre Mr Sim s’éprendra pour la voix de son GPS.

Coe signe ici un roman léger, mais troublant d’exactitude. Dans ce calvaire qu’est la pathétique vie de Maxwell Sim, le lecteur se retrouvera, car on est tous, à moins grande échelle, un peu pathétique, un peu seul, un peu dépressif. Et c’est là la force de Jonathan Coe, dans un Road Novel réinventé, il met en scène certaines grandes questions existentielles. À travers un personnage qu’on ne peut qu’aimer, Coe nous explique comment passer à travers le XXIe siècle: en fermant les yeux, baissant la tête et fonçant droit devant. Un bouquin qui se lit sourire en coin d’un bout à l’autre, l’écriture de Coe est à la fois juste, mais surtout tordante. Lire le premier chapitre de se livre, c’est vous engagez à le terminer, tellement dès les premières pages on tombe rapidement en amour avec ce loser qu’est Mr Sim, car après tout, on l’est tous un peu.

lundi 11 juillet 2011

Si vous n'avez qu'un livre à lire cet été...

Il y a de ces bouquins qu’on ne peut simplement plus lâcher, ces moments où la littérature devient une drogue. On arrive le matin au bureau les yeux cernés, mort de fatigue, tel un junkie qui ne se rappelle pas de sa soirée. “Qu’as-tu fait hier soir pour avoir cette sale tête? J’ai lu.” Ces bouquins aux histoires enlevantes, au suspense haletant et à l’écriture juste, qui nous bouscule un quotidien jusqu’à ce qu’on tourne la dernière page, qu’on lise la dernière phrase. Jusqu’au moment où on referme le livre, satisfait de l’expérience, mais en deuil de tout ces personnages qu’on vient de quitter. Et bien le dernier livre de Justin Cronin, Le Passage, fait partie de ces bouquins là.

Ce roman est tout à la fois. Ses 960 pages renferment plus de 11 parties couvrant plus de 100 ans. L’action débute en 2010, alors qu’on test un virus sur des condamnés à mort qui ont donné leurs corps à la science. Une fois administré, l’homme n’est plus, la bête prend le dessus. Ces 10 condamnés à mort, sous le regard des hautes instances du FBI, deviendront, dans le fin fond d’une montagne du Colorado, des surhommes, puissant, intelligent, rapide. Ils s’abreuvent de sang et ne tolérant pas le soleil.

Quoi?

Non!

Pas un autre livre de vampire! N’ayez crainte, j’ai eu cette même réaction. J’ai même refermé le livre, me disant que ça allait être pour de bon. Pas un 1000 pages de vampires, on passe à un autre appel. Et pourtant. Un erreur monstrueuse aurais-je fait si, sous la pression de collègue de travail, je ne m’était pas replonger dans Le Passage de Justin Cronin. Car soudainement, tout chavire. Les 10 cobayes, s’échappent et le virus se propage. Le Colorado périra, et soudainement la côte Ouest américaine en entier et finalement, c’est l’Amérique complète qui succombera au virus, devenant ce No Man Land où ces bêtes errent sans cesse pour survivre.

On suit donc, 100 ans plus tard, une colonie de réfugiés, de résistants, située en Californie. Une centaine d’âme, tout au plus. Il n’ont pas connu autre monde que celui là, l’état de nature. On ne quitte pas l’enceinte, on ne marche pas à l’ombre et on attend. Qui? L’armée, bien sur. Viendra-t-elle? On en doute tous, bien sur. C’est aux portes de cette colonie que Amy arrivera. Elle semble avoir 10 ans, tout au plus, et pourtant. Elle a connu la modernité. Elle a connu l’apocalypse. Et pourtant.

C’est dans cet univers post-apocalyptique que Justin Cronin nous plonge, un Amérique qui n’est sans rappeler La Route de Cormac McCarty. Avec une narration incroyable, Cronin nous livre ici un roman immense, qui est le premier tome d’une trilogie qui, vous en avez ma parole, deviendra culte. Son style d’écriture est maîtrisé, subtile. Il sait nous livrer ses intrigues par morceaux alors que ses personnages sont humains et complets. Avec lui, on avance pas à pas, tranquillement, dans ce monde qui était jadis le nôtre. Un livre qui nous évoque Stephen King à son meilleur, qui est aussi épique qu’un bon Ken Follett et qui est du même sang que la série Walking Dead, Le Passage de Justin Cronin est unique en son genre et sans équivoque le must-read de l’été.